drogues

Une nuit dans les années 70

Prenant la route depuis Paris un jour de départs en vacances, rien n’aurait pu plus lui faire penser au XXIème siècle. Les passants pressés, les conducteurs surexcités et les heures d’embouteillages ne pouvaient faire oublier à Emma qu’elle était une femme des années 2000.

Seulement voilà, Emma avait sciemment fui cette société dégénérée pour aller s’offrir un weekend de calme et de volupté dans un festival, où elle souhaitait comme à chaque fois retrouver l’état d’esprit déconnecté de la réalité, dans tous les sens du terme. Arrivée sur place, sous un soleil de plomb, elle exhibe sa nouvelle coupe de cheveux comme si elle sortait d’un épisode de That’s 70’s Show, ainsi que sa tenue champêtre, destinée à parer les inconvénients de la météo et du terrain sableux et poussiéreux propres aux concerts en plein air.

Avec ses acolytes, elle plante la tente. Plus qu’une simple tente, une caravane dépliable qui permettrait de loger sans se gêner une demi-douzaine de personnes. Elle aménage des rangements, planque les packs de bières et autres bouteilles d’alcool sous les coussins et se met à apprécier le temps qu’il fait plus que le temps qui passe, comme elle a la fâcheuse habitude de faire dans sa vie professionnelle.

Quelques bières et débats philosophiques plus tard, elle décide de se diriger vers ce pourquoi elle était venue : le festival en lui-même, et non seulement le camping où elle avait commencé à passer un long moment. Arrivant tout juste à l’heure pour voir le groupe pour lequel elle s’était déplacée, les comparses décident tout de même qu’il leur reste encore quelques minutes pour passer à la buvette du village, le temps de patienter avec une boisson fraîche, mais là encore alcoolisée. Quand ses amis étaient encore au stand en train de passer commande, c’est avec déception qu’elle entendit que le concert était annulé. C’est alors une toute autre soirée qui était sur le point de commencer.

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Rebroussant chemin pour parcourir à nouveau le bon gros kilomètre à pied qui use les souliers entre les scènes et le camping et arrivant près de la fantastique tente, Emma entendit retentir au loin les sons de guitare en solo des artistes qu’elle était venue voir en duo. Dépitée, elle ouvrit une énième bière en y laissant fondre un carton recouvert d’acide, histoire de sauver la soirée en ne se contentant pas de boire pour oublier. Les effets tardant, c’est une deuxième dose de LSD qu’elle se glissera sous la langue comme une tête brûlée afin de commencer vraiment la soirée. Ne souhaitant pas rester sur une telle déception, les amis repartent vers le festival et rejoignent la partie gratuite pré-entrée, qu’ils avaient traversée sans tourner une seule fois le regard la première fois. Mais cela était sans compter l’abnégation des agents de sécurité refusant toute entrée à quiconque avait un verre plein entre les mains. Heureusement pour Emma, le LSD, comme les psychotropes contenus dans les champignons hallucinogènes, est indétectable aux tests salivaires. Un comble quand on sait que cela ferait bien plus de ravages au volant qu’un demi-verre de vin en trop…

Buvant leurs verres, ils ont fait des rencontres insolites qui les ont accompagnés tout au long de leur bon voyage. Emma a alors redécouvert le festival, les stands nourris aux sons et aux lumières, la foule qui s’agite, la gentillesse omniprésente. On ne pense pas assez aux plaisirs faciles : faire du vélo pour fabriquer de la lumière, se glisser dans la tente de quelqu’un, s’extasier devant une boule à facettes, résister à l’envie de pendre son téléphone pour avouer des choses inavouables, se laisser prendre par l’épaule pour découvrir monts et merveilles ou goûter le plaisir simple d’une glace faite au lait de chèvre. Emma a beaucoup parlé, beaucoup ri, beaucoup admiré, le tout sans retenue aucune. En s’endormant à 7h30 du matin passés, ce ne sont pas des larmes, mais un sourire béat qui lui barrait le visage.

Taux de sobriété : Zéro

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Toutes ces questions, ces interrogations, ces sujets de tant de non-réponses. Ces envies de tout et de rien, surtout de n’importe quoi. Se retrouver à baiser avec quelqu’un que l’on n’aime pas. D’où vient ce terme si antagoniste à celui de faire l’amour. Et heureusement remplacer cela par quelqu’un que l’on veut vraiment. Comme une envie comme celle de respirer, besoin primaire et pervers d’un moment bien à soi, sans l’être vraiment tout à fait. Regarder fixement un inconnu dans le métro en lui faisant comprendre qu’on le désire, devant des dizaines de paires d’yeux indiscrets. Comme une envie de crier des Je t’aime interdits.

Comme écrire, complètement défoncée, toutes pupilles dilatées, sur un bout de mouchoir Starbucks, à défaut d’avoir trouvé un bout de papier quelconque dans son sac. Parce qu’écrire sauve. Et permet de prendre du recul. Draguer à tort et à travers, avant que cela ne soit à corps et à cris. Draguer pour prouver que l’on existe. Que l’on est désiré, voulu. Entendre un gars crier « On n’a qu’une seule vie » et lui rétorquer « Alors pourquoi tu la gâches ? ». Ecrire, écrire, sans retenue, se foutant des gens qui voient cette fille camée jusqu’aux ongles aligner frénétiquement des lignes sur une serviette en papier. Comme si sa vie en dépendait. Comme si, si elle s’arrêtait d’écrire, sa vie s’arrêterait tout aussi net. D’un coup abrupt. Ca finira mal, comme toute chose qui se finit. Rien ne peut se finir d’une bonne façon. Une fin n’est que douleur, et si la douleur est trop forte, c’est la Mort qui attend au tournant. De guerre lasse. De vie futile. D’amour frivole et de désir de bonheur à tel point que s’il échappe, ce ne sera que peine ad vitam aeternam. Jusqu’à l’arrêt complet de mon cœur de s’être par trop essouflé.

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Article écrit en 10 minutes top chrono, le temps d’un Paris Saint-Lazare / Courbevoie.
Taux d’alcoolémie : moyen.

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Dans la rame de la ligne 13, je la regarde. Elle est belle. Malgré ses ongles rouges vernis et son maquillage outrancier de la même couleur. Comme des centaines, des milliers d’autres jeunes femmes de son âge, elle tripotte son téléphone portable pour actionner de la musique qui dépasse le cadre de ses oreilles. Les cheveux remontés sur le front, elle a le regard penché sur un livre de poche, livre bien trop épais pour que je puisse imaginer ce genre de filles le lire. Non que je reste bloquée sur son physique, qui parait en inadéquation avec son appétit littéraire. Elle sort en soirée, bien fardée, cela se voit. Elle veut qu’on la remarque.

Je l’ai croisée sur la même ligne, quelques heures plus tard. Le visage émacié, les traits tirés, le regard perdu dans le vague. Les effets de la drogue, remarquables au premier coup d’œil. Drogue dure à n’en pas douter quand je remarque ses mains s’agiter de manière frénétique, comme le ferait le métronome d’un pianiste. Restant toujours jolie à mes yeux, elle a perdu l’étincelle d’intelligence que j’avais démasquée chez elle. Paumée est le terme qui me vient à l’esprit en la regardant. Pour paraphraser je ne sais plus qui, je me demande comment une fille aussi jolie peut-elle être aussi malheureuse. Malheureuse au point de mettre sa vie en danger pour n’importe quelle contrariété venant à la gêner ? Elle a des amis borderline mais a toujours eu le recul nécessaire pour ne pas sombrer. Alors même qu’elle a mis sa vie en danger par deux fois au cours de ces derniers mois. Par désespoir ? Nul ne le sait, même pas elle je le crains.

Mais quand je la regarde dans l’image que renvoie son reflet dans la vitre, je sens qu’elle n’est pas si triste que je l’imagine. Ou en tout cas plus si triste qu’elle ait pu l’être auparavant. Elle semble hors de portée, peut-être l’effet de ses yeux creux et éteints. Tristesse sans nom et indéfinissable car je la sens au bord des larmes sans qu’elle ne soit elle-même en mesure de s’en rendre compte. Par peur de tout perdre, perdre tout ce qu’elle a difficilement acquis, perdre ce qui compte le plus dans sa vie puisqu’elle lui donne ainsi son sens. Elle a déjà perdu plusieurs hommes dans sa vie, tout comme elle s’est déjà perdue dans les bras de dizaines d’autres. Mais perdre le même homme une seconde fois demanderait une dose de courage qu’elle ne se sent pas prête à avoir si ce jour devait arriver. Mais comme elle n’en est pas là, elle sourit. Sourit de son présent, et au diable si son futur ressemble à son passé. On ne vit qu’au présent, et qu’une fois, Monsieur Bond.

Pour un flirt (sous méphédrone) …

… avec toi. Je ferais n’importe quoi.

Quand rien ne va et qu’il n’est d’aucune utilité de rester chez soi pour ressasser les mêmes pensées négatives jour après jour, il est plus censé de sortir. Aller prendre un café, écouter les discussions autour de soi, s’inspirer des joies qui nous entourent, car même si elles ne nous touchent pas directement, toute joie est bonne à prendre.

Bien des scientifiques se mettent à dire que le sentiment amoureux ne se distingue pas tant que cela de la prise d’une drogue, parfois semblable à l’effet provoqué par de la cocaïne. Ou de la méphédrone. Je dois dire qu’ils ont raison. Loin de la personne aimée, un certain état de manque se fait ressentir. Un manque qui prend aux tripes, qui secoue et qui ne nous guide que vers un seul but : celui de revoir ladite personne, comme si elle était une dose dont on ne pouvait se passer. Etre loin de cette personne n’équivaut pas forcément à parler de distance ; on peut être très près de cette dernière tout en la sachant hors de portée, à des années-lumière de soi. Alors on envoie des mails, des textos, on passe des coups de fil dans une seule attente, pouvoir sentir la présence de l’être aimé auprès de soi et tenter de s’en rapprocher par n’importe quel moyen. Ou plutôt tenter de la faire se rapprocher de nous, puisque c’est cela qui est en général le plus ardu. Crying, Waiting, Hoping, comme nous dit le titre d’une chanson des Beatles.

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Je parlais plus haut de méphédrone, car c’est le vrai sujet de mon billet. La méphédrone (pour ne pas dire 4-méthylméthcathinone, et surnommée « miaou-miaou ») est la nouvelle égérie de la jeunesse désabusée, concrètement, le nouvel opium du peuple riche des banlieues parisiennes. Apparue il y a une dizaine d’années et connaissant son essor depuis quelques unes seulement, elle s’est très rapidement développée dans les milieux chics pour devenir « in » et bougrement répandue. Son expansion n’a pas été due au hasard mais plutôt à l’absence de législation concernant cette drogue (mais aussi, officieusement, comme substitut à l’ecstasy qui, selon les consommateurs habitués, devenait de moins en mois efficace et de plus en plus falsifiée). En effet, elle n’a été considérée par la loi française comme stupéfiant qu’au cours de l’année 2010. Jusqu’alors, elle restait aussi légale que la vente et la consommation de Poppers, pour quiconque sachant où s’en procurer. Il était à l’époque plus facile d’en trouver que de télécharger Avatar en 3D via peer to peer ; elle était le plus souvent vendue sur le net en tant « qu’engrais pour plantes » ou « sels de bain », pour faciliter sa procuration. Suivant le pas de la législation suédoise et anglo-saxonne, la France a donc décidé à raison d’interdire la méphédrone en la classant comme stupéfiant, qui était auparavant répertoriée comme la quatrième drogue la plus utilisée en Grande-Bretagne. A raison, car ses effets correspondaient effectivement aux autres drogues étiquetées dans cette catégorie : accélération du rythme cardiaque, sueurs importantes ou encore grande euphorie (effets comparables à la prise de MDMA, entre autres).

OLYMPUS DIGITAL CAMERAS’inspirant souvent de ses partenaires européens pour prendre des décisions, souvent avec de longs mois de retard (voire pour certaines interdictions, des années), la loi française reste en marge en ce qui concerne les décisions rapides et efficaces. Pour parler franchement, elle a bien du mal à se maintenir à niveau dans ce domaine, préférant s’aligner sur ses voisins. On a beau penser que les libertés se trouvent de plus en plus diminuées, il n’en reste pas moins un paquet qui virevolte jusqu’à ce que de nouvelles lois interdisent celles encore présentes, qui sont pourtant déjà prohibées dans d’autres pays de l’Union Européenne. A titre d’exemple, l’absinthe est encore autorisée (diluée et surveillée certes), alors qu’elle ne l’est plus en Irlande, profitez-en pendant qu’il en est encore temps, car c’est un délice.

I-Doser – Votre dealer légal de cocaïne

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Pouvoir acheter des doses de drogues en toute légalité, c’est désormais possible. Apparu sur le net il y a maintenant plusieurs années, I-Doser connait un très grand succès mais à petite échelle, il est donc tout à fait probable que vous n’en ayez jamais entendu parler. Le principe est simple, il suffit d’acheter sur le site internet en question des « doses » de différents effets et de puissances différentes. L’intérêt de ce site réside dans le fait que ces doses ne sont ni plus ni moins que des fichiers audio d’une durée moyenne de trente minutes, agissant sur le cerveau de telle manière à agir comme le ferait n’importe quelle drogue.

Les doses d’I-Doser fonctionnent sur le principe du battement binaural. Les sons des doses sont réglés sur de la très basse fréquence et le battement binaural va associer les différents sons parvenant aux deux oreilles pour agir sur le cerveau. Des écouteurs sont donc plus que conseillés pour les écouter, et si ce sont des intra-auriculaires le résultat n’en sera que meilleur.
Le prix des doses ne diffère pas de celui des « vraies » drogues, certaines doses pouvant chiffrer jusqu’à 200 dollars, pour les plus puissantes. Rassurez-vous, une fois la dose achetée vous pourrez l’utiliser à l’infini. Le catalogue des I-doses brasse véritablement assez large, proposant (entre autres) des fichiers procurant les effets de l’absinthe, de l’héroïne, du THC, de la méthamphétamine, de l’ecstasy, de l’opium, du speed et même de la migraine. Je ne sais pas vous, mais je n’ai pas vraiment envie de payer pour avoir une bonne grosse migraine …

Pour ce qui est des effets, ils s’estompent quelques minutes après la fin de l’écoute de la dose. Si effets il y a. Car bien évidemment les avis divergent sur ce nouveau système de drogues parallèles. Mon avis est qu’un tel procédé ne peut pas rester légal s’il est efficace, c’est à dire si les effets des drogues restent les mêmes. Voilà pour ce qui est de la théorie, passons maintenant à la pratique. Ayant lu diverses expériences sur le net dont le résultat variait significativement en fonction de l’état dans lequel les personnes se trouvent lors de l’écoute de la piste, j’ai décidé de faire une étude assez complète en ratissant large moi aussi. Pour ce faire, j’ai regroupé mes séances selon mon état psychologique et physiologique au moment de la « prise » : un état dit normal, un autre sous l’influence légère de l’alcool et un dernier sous celle, toujours légère pour ne pas fausser les conséquences de l’écoute, de la drogue.

Les conseils de prise sont les mêmes peu importe les drogues choisies : être allongé dans une pièce noire avec ses écouteurs, tout en se concentrant sur la musique. Enfin, si on peut toutefois parler de musique à propos de sons discordants ressemblant la plupart du temps à ceux sortant d’un écran de télévision enneigé. Après quelques écoutes en étant « clean », je ressens … une totale absence de résultat, même avec des doses prétendument « très fortes ». A part une anodine tachycardie découlant à mon avis d’un stress en attendant de possibles répercutions, rien.

Même absence de résultats probants, le cerveau pourtant un peu plus nébuleux, en différenciant bien les effets des drogues réelles de celles auditives. Problème de concentration, gros manque d’autosuggestion ? Sans doute. Effet placebo ou science véritable ? Difficile de le dire avec si peu de moyens. Toujours est-il que je ne crois pas aux effets véritables de ce système D si l’on est en pleine possession de ses moyens physiques et psychologiques avant les écoutes. Ceux n’y croyant pas n’achèteront sûrement pas ces doses et ceux y croyant penseront ressentir quelques effets, aussi infimes soient-ils. Si on part de ce statut quo, rien de bien méchant que de commercialiser ce dispositif, qui, comme la voyance pour la citer en exemple, se sert d’une base scientifique pour faire passer n’importe quelle théorie, aussi invraisemblable soit-elle.

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Bienvenue dans la Vie ²

Je relisais certains de mes billets et je me suis rendue compte – impression fausse je l’espère – que j’écrivais mieux il fut un temps. Le fait est que j’écrivais sans nul doute juste différemment. C’est pourquoi je me permets exceptionnellement de reposter un ancien de mes articles, datant de 2008, que j’affectionne beaucoup de par son atmosphère assez différente comparée à celle de mes derniers billets. Quelques modifications faites, et voilà le retour de Karen.

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C’était encore une de ces soirées où chacun n’est là que pour impressionner le voisin et lui donner ce sentiment d’infériorité. La fête battait son plein et la reine de la soirée, Karen, 22 ans, chez qui la réception était donnée, fêtait tout juste son anniversaire. D’humeur toujours pétillante et joyeuse elle virevoltait d’invités en invités pour les remercier, de leurs cadeaux comme de leur présence. Je regardais tout ce petit monde, juchée sur des talons hauts à m’en donner le vertige, pendant que Bob était accroupi à côté de moi, en cherchant sous la table du buffet la boulette de shit qu’il était en train d’effriter, avant qu’un serveur ne lui donne un coup de coude involontaire, avant de se répandre en excuses. Karen était de plus en plus souriante proportionnellement au nombre de coupes de champagne qui passaient entre ses délicates mains.
Et c’est alors que je le vis. J’ai croisé son regard le temps d’un instant, le même type de regard complice et à la fois gêné que si je croisais un collègue de l’Opus Dei dans un bordel. Il était affairé à faire des boucles avec des cheveux qui ne lui appartenaient pas et la fille allongée sur le canapé se gaussait, sans doute, à l’une des blagues dites par mon bel inconnu.
« C’est bon, je l’ai retrouvée »
Le temps de me retourner et confier mon briquet à Bob pour continuer notre attrayante affaire et toutes les lumières s’étaient retrouvées éteintes. Bien sur, il devait être minuit, le gâteau et toutes les belles bougies n’allaient pas tarder à arriver. Je pris mon portable, par réflexe, par curiosité, ou par simple suspicion, pour y regarder l’heure. 1h48 du matin. Déjà. « Déjà » fut ma première pensée ; « Bizarre » fut la seconde. Vu l’heure, l’extinction des lumières n’avait plus rien de normal. Je recroisais le regard de Bob qui était décidément mis à mal avec ce énième joint de la soirée et lui demanda s’il était au courant de quelque chose. Non, bien sur que non, lui non plus ne savait pas ce qu’il pouvait bien se passer. Nous étions apparemment les seuls à trouver cela étrange. L’alcool ayant fait son effet, l’euphorie ambiante et surtout les quelques traces de drogues en tous genres sur le bord des tables en verre ont conforté mon idée qui était que nous étions sans aucun doute les seuls à avoir l’esprit le moins embué qu’il nous était possible. Remerciant mes talons je m’aperçu que je dominais de hauteur la quasi-totalité des invités présents. Dans un loft de plus d’une centaine de mètres carrés, où la musique pulsait toujours et où plus d’une soixantaine de personnes dansaient, se trémoussaient, s’embrassaient, fumaient et buvaient, il était presque vain de vouloir trouver quelque chose. Karen par exemple. Impossible de la voir et personne n’avait l’air de s’en soucier, tous préférant continuer la soirée éclairés aux veilleuses et remerciant l’organisatrice de cette idée concept. Karen avait beau avoir les défauts que tout le monde lui connaît il n’en reste pas moins qu’elle est mon amie et que son absence commençait franchement à m’inquiéter. Pendant cette courte inspection mentale, Bob avait quant à lui commencé à reluquer les beaux mâles qui se déhanchaient au rythme d’un David Guetta encore unrecorded. Cela me fit repenser à mon inconnu de tout à l’heure. De lui non plus il n’y avait plus aucune trace. En temps normal j’aurais été déçue d’avoir laissé passer un si beau coup mais cette furtive disparition ne parvint qu’à décupler mes soupçons, quels qu’ils soient.
Je décidais d’abandonner Bob quelques secondes, sur qui la fatigue commençait à prendre ses droits, pour chercher Karen. Peut-être étais-je en train de me monter le bourrichon pour rien et que cette gamine égocentrique était simplement en train de faire une partie de jambes en l’air avec le beau gosse de la soirée. Cette simple pensée me fit passer un éclair dans les yeux tout en imaginant ce dernier sortir d’une boîte géante en entonnant un début de Happy Birthday Karen en retombant deux secondes après le nez dans les confettis. J’éclatais de rire.
Ce n’était pas le moment de penser à ça. Je n’étais venue qu’une seule fois chez elle et me rappelais grosso modo où les pièces principales étaient. Je décidais d’aller de la moins à la plus intimiste. Dans la cuisine un couple qui se bécottait et une bouteille de vin ouverte, je me servis un verre et partis en direction de la salle de bains. Je frôlais les murs pour essayer d’éviter les gens qui, individuellement, prenaient la place de quatre, quand je renversais mon verre sur un Tshirt d’une blancheur immaculée parfaite, avant la belle tâche de vin en son milieu bien sur.
« Hey. Fais un peu attention là. Tu tombes bien, je te cherchais. Tu es bien Audrey n’est-ce pas ? Karen ne se sent vraiment pas bien, elle aimerait que tu arrêtes la fête et que tu vires tout le monde d’ici. Got it poupée ? »
J’avais commencé à acquiescer à l’écoute de mon prénom mais m’était abstenue de rajouter autre chose quand je m’étais mise à lever les yeux vers lui. Cette pourriture qui osait me donner des ordres était donc le gars bien fringué de tout à l’heure ? Malheureusement pour lui il ne me connaissait pas, il aurait autrement su que la manière la plus sûre de me voir ne pas faire quelque chose étant d’exiger que je le fasse. Feignant la plus totale indifférence je commença à le draguer effrontément en lui disant qu’à la base je cherchais la salle de bains pour me refaire une beauté et que cela passé je ferai ce qu’il me demandait, et plus si affinités. Un sourire éclaira son beau visage de connard. Il me laissa passer pour aller en direction de la pièce principale, où la fête n’avait pas vraiment l’air de s’essouffler. Je courus jusqu’à la chambre de Karen. Elle était assise la tête baissée, se fumant une cigarette, ou quelque chose de ressemblant. Elle leva les yeux vers moi, un œil en pleurs et l’autre en sang. Je la pris dans mes bras et appris par la même occasion que Boris, car c’était ainsi qu’il s’appelait, n’était autre que son petit ami. Voyant que je ne comprenais vraisemblablement pas la suite logique de ce statut, elle m’apprit qu’elle avait trop de dettes envers lui. C’était le meilleur dealer de la ville niveau coke et ecsta mais aussi le plus cher. Comme rien n’était jamais trop cher pour Karen elle s’était mise à le fréquenter assez régulièrement, lui et ses produits, assez régulièrement aussi. Cela allait faire un mois qu’elle commençait sérieusement à lui devoir de l’argent. C’est lui qui avait eu l’idée de cette soirée, pour faire raquer un maximum de fric aux invités qu’il aurait eu en guise de cadeaux. Seulement, la fête s’éternisait et ce qui se passait en vérité n’était vraiment pas à la mesure de ses espérances, pire, tout l’alcool et la nourriture de l’appart étaient en train d’y passer. C’est pour cette raison qu’il voulait à présent les virer au plus vite, d’autant plus qu’il avait trouvé un boulot sur mesure pour Karen qui lui permettrait d’avoir de l’argent à foison. Nous n’eûmes même pas besoin de nous regarder pour savoir en quoi consistait ce boulot.
La vie de Karen, qui semble à tous la plus merveilleuse qui soit, avec ce physique ravageur, ce luxe présent aveuglément, ces amis qui se bousculent dans la rue pour lui dire bonjour, toute sa vie est pourtant pourrie jusqu’à la moelle. Un mythe que l’on aimerait conserver comme tel et qui s’effondre aussi facilement qu’un château de cartes. Je n’ai aucune solution à lui proposer, je ne l’ai jamais vraiment connue après tout. Je ne peux que rester là et lui dire de ne pas s’inquiéter ou bien alors tenter d’user de mes charmes pour la protéger. Ils sont autant coupables l’un que l’autre, si je veux faire tomber l’un, l’autre tombera aussi. Ils sont liés tant qu’ils auront besoin l’un de l’autre. La seule phrase que je lui ai dite j’y repenserai toute ma vie mais je ne pouvais pas faire autrement. En sortant de sa chambre j’ai vu Boris qui me fit un clin d’œil à m’en faire vomir. Les invités commençaient à partir par petits groupes, je secouai Bob qui devait en être à son dixième joint depuis que je m’étais absentée et lui dit « Viens, on a plus rien à faire là ». Il eut le tact de ne me poser aucune question. Je n’avais pas non plus envie de passer la nuit seule, je me suis incrustée chez lui. Je la passais néanmoins seule à me rappeler mon unique souvenir de cette soirée, celui d’une fille qui ne vint vers moi que pour me demander de lui sauver la peau et à qui froidement, j’ai répondu « Je te souhaite bien du courage, Karen ».