Je déteste plus que tout les hôpitaux. Je m’y sens mal à chaque fois que je prends sur moi pour en passer la porte. Je vois tous ces murs de couleurs criardes, contrastant tellement avec les locataires aux corps diaphanes. Je vois les magasines de la salle d’attente, posés négligemment entre trois fauteuils défoncés mais puants le désinfectant. Et ces visions me donnent la nausée.
J’avance dans ce couloir orange pâle, au rythme du bip obsédant du patient de la chambre d’à côté qui ne fait qu’appeler les infirmières pour la moindre et inutile demande. Je n’ose rien toucher, sans savoir si cela est par peur d’être contaminé par je ne sais quoi ou plutôt de moi-même contaminer cet endroit qui suinte la propreté par tous ses pores.
Face au miroir de l’ascenseur, je recoiffe rapidement mes cheveux courts, quoique déjà assez longs pour un homme, si l’on prend en compte le point de vue de mes parents. Je viens rendre visite à ma meilleure amie, Alice, mon alter égo, celle qui j’ai toujours comprise tant je différais d’elle. Elle est arrivée ici lundi matin. C’est sa mère qui a appelé les urgences quand elle n’a pas réussi à réveiller sa fille qui avait cours tôt ce matin là. Criant, la secouant, la giflant même, elle ne parvint pas à la réveiller. Alice arrivée aux urgences, il a été diagnostiqué une tentative de suicide à base d’alcool pur et d’antidépresseurs, l’équivalent d’une boîte entière. Un lavage d’estomac plus tard et un coma terminé, elle repose patiemment dans une chambre au deuxième étage de cet hôpital de province. Chambre impersonnelle où rien ne la distingue d’une autre, à part le livre de fantasy médiévale d’Alice, posé sur ce qui lui sert de table de chevet.
Je m’en veux car, comme à chaque fois qu’une catastrophe arrive, on ne peut que culpabiliser en se disant qu’on aurait pu l’éviter. C’est ici parfaitement mon cas. Je la savais triste, je la savais aller très mal, mais je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse faire ce qu’elle pensait. Elle m’avait pourtant déjà appelé, en larmes, certains soirs où elle se sentait moins que rien. J’avais alors réussi à la réconforter, sans me douter que cela n’était qu’à chaque fois provisoire. Ou alors faisait-elle même semblant de paraitre rassurée des paroles que je lui disais.
Aucun bruit ne sort de sa chambre, je l’entrebâille avec une certaine appréhension. Je vois Alice, elle est à demi assise sur son lit et regarde par la fenêtre, qui ne donne sur rien à part un terrain vague, sans âme et sans espoir. Quand je pense aux raisons de son passage à l’hôpital, je me dis qu’ils auraient pu trouver un meilleur remontant. Je m’approche d’elle et lui prend la main, prêt à tout, prêt à affronter sa colère, sa rancœur ou une plus grande dépression encore. Elle se retourne vers moi en sursautant, ne pouvant pas me cacher ses yeux imbibés de larmes. J’étais prêt à tout, sauf à sa véritable réaction : la culpabilité. Voyant les pleurs rouler de plus bel sur ses joues, je l’entends me dire à quel point elle était désolée. Elle me priait de lui pardonner. Elle était désolée, si désolée, semblait si terrorisée, comme une enfant prise en faute. La voyant ainsi, j’ai craqué, je ne parvenais plus à être fort. J’ai senti mes yeux se rougir et une boule douloureuse se former au milieu de ma gorge. Je l’ai serrée dans mes bras en me promettant d’avoir la force qu’elle ne parvenait pas à avoir. D’être celui qui pourrait l’aider à vivre, à chaque fois qu’elle n’en aurait plus le courage, maintenant que son coma lui avait paralysée toute la moitié gauche de son corps.