Fallait rattraper le temps perdu. Mais s’il y a bien une chose qu’on ne rattrape jamais, c’est ça.

Elle avait pu maîtriser sa haine pendant des années. Elle avait grandi en elle comme une plante carnivore, la rongeant du dedans. S’était nourrie de ses blessures, de ses rancœurs, de toutes les humiliations qu’elle avait subies. Elle avait toujours été bien plus blessée par les mots que par les coups. Elle trouvait leur pouvoir plus assassin que toutes les violences physiques. Et pour se protéger, elle avait fini par se murer dans un long silence, ne répondant que de façon superficielle aux questions qu’on lui posait. Juste pour ne pas attirer l’attention.

Et puis surtout elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas pourquoi elle est là. Elle se souvient comment elle y est arrivée, les souvenirs sont là, nets et précis, malheureusement.

Elle ne comprend juste pas pourquoi on l’y a obligée. Elle se sentait bien, elle allait bien, elle faisait ce que bon lui semblait et subitement elle a chutée. Physiquement, moralement. Et maintenant elle est là. Les Autres lui font peur, ils ne la comprennent pas et ne semblent pas plus se comprendre eux-mêmes. Ils lui font peur, ils font juste peur à voir.

Elle pense, ne réfléchit plus, pense tout simplement. Et bien sûr elle parle, du moins, comme tout le reste, c’est sa vision des choses, qui n’est pas la même que celles des autres. Tous lui parlent comme si elle ne comprenait plus rien à la vie, qu’il ne lui reste que l’autre côté à découvrir, mais elle comprend, ce sont les Autres, encore eux, qui ne savent pas l’écouter, pas la comprendre non plus.

Pourquoi est-elle là ? Elle le sait très bien mais ne veut pas se l’avouer, ne le peut pas non plus. Elle était devenue ingérable, pour elle. Quelqu’un devait la gérer à sa place, et ce quelqu’un, c’était les Autres. Les ingérables, les gérants. Les uns ne lui accordent pas la moindre attention et les autres ne sont là que pour ça, à nos yeux.

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Ça me rappelle l’hôpital surnommé asile par ceux qui n’y ont jamais mis les pieds. Ceux qui se font des idées préconçues, tellement simple pour éviter de connaître ce qu’il en est réellement. Ce n’est pas comme dans les films, on ne nous met pas d’entonnoir sur la tête, on ne passe pas notre temps à crier dans les couloirs. Ceux-là sont la plupart du temps enfermés, camouflés dans leur chambre. Les autres pensionnaires, les plus sérieux, comprenez les plus déprimés, peuvent sortir. C’est une vraie prison, passer quelques mois dans cette atmosphère ne peut que rendre plus aliéné qu’on ne l’était en rentrant. Rien à faire de ces longues journées où l’on nous prend pour des enfants, à nous chuchoter chaque parole au creux de l’oreille de peur de nous stresser, de déclencher une nouvelle crise de colère. Eux non plus ne comprennent pas que c’est cela qui nous angoisse. Ils nous mettent à part, parlent de nous entre eux sous nos yeux comme si nous ne pouvions pas comprendre mais nous le pouvions, du moins certains d’entre nous. Leur dire que nous allions bien ne suffisait pas, leur dire que nous n’étions pas fous ne faisait qu’empirer la situation. Ils dirigeaient, ils décidaient de notre présence ou non ici et non ne pouvions rien dire pour notre défense.

Pour passer le temps on pouvait lire, quand nos livres étaient acceptés par les instances dirigeantes qui ne laissaient en fin de compte passer que des romans à l’eau de rose ou des magazines de jardinage. Mes thrillers habituels étaient évidemment proscrits compte tenu de mes penchants morbides. Je m’en fichais, j’avais appris à être gentille, à le paraître. Et ils pourront dire ce qu’ils veulent je me comporterai toujours sans commettre un pas de travers jusqu’à ma sortie, qui sera sans nul doute définitive cette fois-ci.

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